Interview d’Élise Cruchon, responsable de la cellule de gestion territoriale des lits à l’ORU Nouvelle Aquitaine
Depuis deux ans, l’ORU Nouvelle-Aquitaine anime une cellule inédite en région : une équipe de terrain entièrement dédiée à la gestion territoriale des lits et à la structuration des parcours de soins non programmés. Sa responsable, Élise Cruchon, nous explique les fondements, les missions et les ambitions de ce dispositif encore méconnu – mais déjà utile.
En quoi consiste concrètement la cellule de gestion territoriale des lits ?
Elle a été pensée pour répondre à un besoin simple et récurrent : fluidifier les parcours patients entre établissements, en particulier dans les situations non programmées.
Cela passe d’abord par l’animation d’un réseau de gestionnaires de lits – des professionnels souvent isolés, qui jouent pourtant un rôle clé en centralisant les informations liées aux fermetures de lits, pics d’activité, travaux, tensions, etc. Notre rôle est de créer une culture d’échange entre eux, d’identifier les bons interlocuteurs au bon moment, et de construire de la confiance entre établissements.
Mais ce n’est pas tout : nous intervenons aussi sur la structuration des filières de soins dans un cadre non programmé. En s’appuyant sur les remontées terrain (événements indésirables, blocages récurrents, retours des gestionnaires de lits), nous repérons les filières en tension – psychiatrie, ortho-trauma, AVC, hépato-gastro… – et nous accompagnons les établissements pour décrire les organisations, identifier les ressources et construire collectivement des modalités d’interpellation claires et partagées.
L’objectif : faire en sorte que les décisions d’orientation patient ne dépendent pas seulement de la disponibilité d’un lit, mais d’une réelle logique de filière.
Concrètement, sur quels types de filières intervenez-vous ? Et avec quels outils ?
Nous sommes intervenus sur plusieurs filières en tension, comme l’orthopédie traumatologie, l’AVC, ou encore l’hépato-gastroentérologie. Mais nous travaillons aussi sur des situations plus transversales : le parcours du patient sans appui identifié, ou des irritants du quotidien signalés par les établissements dans les parcours de soins des patients.
Notre force, c’est d’apporter une méthodologie de structuration, quelle que soit la filière. Nous co-construisons avec les professionnels des :
- logigrammes pour clarifier les parcours,
- procédures partagées entre établissements,
- modalités d’interpellation réciproque (qui appeler, dans quel ordre, comment…),
- cartographies des ressources et plateaux techniques,
- et même des outils dynamiques, comme le module Live Urgences, créé à partir de remontées terrain.
Nous ne sommes pas les experts médicaux des filières, et ce n’est pas notre rôle. En revanche, nous facilitons la structuration entre les acteurs en nous appuyant sur leur expertise. Nous collaborons étroitement avec les professionnels de santé du territoire, dont nous valorisons les retours d’expérience et les connaissances de terrain. En interne, nous nous appuyons sur plusieurs expertises complémentaires : l’équipe data, qui produit et analyse des données sélectionnées avec les CMST (Coordinateurs Médicaux Supra-Territoriaux) pour objectiver l’état des lieux d’un territoire ; et l’équipe ROR, qui conçoit des affichages et visuels centralisés, conformes aux critères nationaux de description de l’offre de soins.
L’animation de la démarche, tout comme les propositions organisationnelles pour chaque filière, sont menées avec les CMST, qui apportent un regard médical transversal à nos travaux. C’est ce rôle d’interface neutre et de facilitateur qui fait souvent la différence. À ce jour, nous avons entamé des échanges sur plus d’une centaine de sujets… et ce n’est que le début !
Pourquoi avoir créé cette cellule ?
Elle s’inscrit dans une instruction ministérielle de 2023, qui appelait à renforcer la gestion territoriale des lits, après une première vague d’organisation intra-établissement.
L’ARS Nouvelle-Aquitaine a fait le choix d’une approche unique, en nous confiant non pas un rôle de coordination mais d’animation neutre à partir du terrain, inspirée du modèle occitan.
Notre posture : on ne décide pas pour les établissements, nous partons de ce qu’ils font déjà, sur les organisations existantes pour continuer à développer avec eux les projets. Et cette distinction est essentielle pour embarquer les acteurs.
A quel besoin spécifique cela répond-il en Nouvelle-Aquitaine ?
La région est vaste, hétérogène, et les tensions sont réelles : rareté des ressources médicales, inégalités de répartition, augmentation des recours aux urgences… Notre travail consiste à créer des ponts, à repérer les dysfonctionnements dans les parcours et à aider à les résoudre ensemble. Cela nécessite du temps, de l’écoute, et une connaissance fine du terrain.
Comment êtes-vous organisés ?
Nous sommes aujourd’hui 11 professionnels (dont la coordonnatrice régionale), tous infirmiers de formation, répartis en binôme sur presque tous les départements (les derniers seront couverts d’ici mi-2026). Chaque binôme a été constitué pour être complémentaire, avec une compétence en gestion des lits ou en conduite de projet. Mais surtout, nous avons recruté des personnes capables de co-construire, écouter, tisser des liens.
À cela s’ajoute un appui essentiel : ces professionnels s’appuient sur les équipes de l’ORU, notamment l’équipe data et l’équipe ROR, qui produisent des données, des tableaux de bord, et des outils d’aide à la décision. Ils collaborent également étroitement avec les médecins de l’ORU (les Coordonnateurs Médicaux Supra Territoriaux ou CMST), qui apportent leur regard clinique et leur expertise terrain.
L’idée est de jouer collectif, et c’est une des valeurs profondes de l’ORU NA.
Un exemple concret d’action menée récemment ?
En été 2024, dans le département de la Gironde, un cas typique s’est présenté : que faire quand un service d’urgences est suspendu ? Nous avons proposé une logique simple : l’établissement dont le service d’urgence est fermé reste responsable de l’aval pour les patients relevant de son territoire. Cette proposition, validée en 15 jours par l’ensemble des directeurs avec l’appui de l’ARS, est aujourd’hui devenue une bonne pratique, intégrée dans les usages.
Quelles sont les retombées sur le terrain ?
Les premiers mois ont parfois été compliqués : notre rôle était mal compris, certains craignaient une remise en cause de leur organisation.
Deux ans plus tard, les retours sont positifs : la plus-value d’un animateur territorial est reconnue, notre neutralité appréciée, et nous sommes sollicités pour accompagner de plus en plus de démarches locales. L’ARS nous renouvelle également sa confiance sur cette nouvelle mission.
Quelle est votre vision pour les années à venir ?
Notre objectif est de produire une description homogène et partagée des filières, pour que chacun – gestionnaire de lit, médecin, directeur – puisse s’y retrouver facilement. On veut aussi faire gagner du temps aux opérationnels, en structurant des outils utiles, adaptables, et qui bénéficient in fine aux patients. C’est un travail de longue haleine, mais la dynamique est lancée.
Un message à faire passer aux établissements qui ne vous connaissent pas encore ?
Nous ne sommes pas là pour imposer ou contrôler. Nous sommes là pour aider. On a quitté le terrain il n’y a pas si longtemps, on sait ce que vivent les équipes. Sans prétendre tout résoudre, on peut apporter de la clarté, structurer des pratiques, valoriser les bonnes idées locales et favoriser les échanges entre organisations en faisant tomber certaines barrières. Nous sommes l’huile dans les rouages, pas la machine.
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